Bok Pai : la boxe de la Grue Blanche
Le style de base fut créé en 1644 par une jeune fille du nom de Fang Chi Nian. Selon la légende, Fang avait été initiée à la boxe de Shaolin par son père, Fang Huei Shi, ancien moine. Les Mandchous (Xing) venaient de prendre, le pouvoir et craignant un soulèvement, l’Empereur ordonna le démantèlement du Temple Shaolin situé dans la province du Henan. Le monastère était en effet devenu le refuge de nombreux loyalistes Ming entrés en sédition contre le pouvoir.
De nombreux moines émigrèrent donc dans toute la Chine. Certains descendirent dans la Province du Fukien (Futien) située dans le Sud. Ce fut le cas du maître Fang Huei Shi qui trouva refuge avec sa fille Fang Chi Nian dans le Monastère Bouddhiste de Fu Tsao. Expert de la Boxe des « Dix-Huit Arhats », il transmit cette technique à sa fille.
Un jour que la jeune fille lavait du linge, une Grue Blanche vint se poser sur celui-ci. Mademoiselle Fang essaya de la chasser avec le bâton qui lui servait à battre le linge… Ce fut peine perdue car la grue esquivait toutes les attaques tantôt sautant d’une patte sur l’autre, tantôt s’envolant pour se reposer immédiatement sur les draps. À un moment la grue parvint même à saisir le bâton et à l’arracher des mains de la jeune fille. Celle-ci excédée essaya de chasser l’oiseau en utilisant sa technique martiale. Elle ne put que s’essouffler sans le moindre résultat. De guerre lasse elle abandonna. La grue s’envola aussitôt.
Le linge était souillé, elle le relava, mais le lendemain la même scène se reproduisit… son père vint à la rescousse mais son aide fut inutile. Ils ne réussirent à récolter que quelques coups de bec, de pattes et d’ailes. Ils en déduisirent que cette grue était un fameux combattant, peut-être même la réincarnation d’un grand maître de l’Art du Combat.
Peu à peu la jeune fille s’accoutuma à sa présence et une sorte de complicité s’établit entre elle et l’échassier. Un jour qu’elle se reposait près de la rivière une vipère vint vers elle. Elle entendit le cri guttural de l’oiseau qui fondait sur le serpent. Endormie elle aurait peut-être été mordue, mais la grue veillait. Elle assista donc au combat qui ne dura que quelques instants. Malgré sa souplesse, sa rapidité et ses contorsions la vipère fut tuée d’un coup de bec sur le crâne. Elle remercia la grue et en récompense lui offrit une étoffe sur laquelle l’oiseau aimait danser. Durant les mois qui suivirent elle étudia les mouvements de l’échassier, ses esquives et ses attaques. Peu à peu elle finit par faire jeu égal. La grue s’en alla et elle ne la revit jamais sauf en songe. Notant soigneusement ses rêves, elle s’en inspira pour créer son propre style le Shaolin Lo Han Bai He Men (Boxe de la Grue des Arhats de Shaolin). (Cette légende se rapproche de celle concernant l’élaboration d’un autre style de boxe chinoise : le Wing Chun).
La technique créée par Fang Chi Nian était étonnante et de nombreux maîtres vinrent lui demander conseil tant sa réputation était grande. Des villageois vinrent la trouver… leur hameau était sous la coupe d’un brigand notoire. Li Han Jung, surnomme Li le tueur de boeufs. Il passait en effet pour être capable de tuer un bœuf d’un seul coup de poing. Fang Chi Nian, accompagnée par sa servante Chen Li Shu, se rendit à son repaire et le défia. Tandis que Chen mettait à mal une douzaine de brigands Fang dut subir les attaques de la brute. Elle se contenta de l’esquiver quelques minutes et l’étendit raide mort d’un coup de poing entre les yeux. Les villageois supplièrent Fang Chi Nian de leur transmettre son art. Elle refusa, mais autorisa sa servante à leur enseigner son art. Celle-ci eut 28 élèves surnommés plus tard les « 28 héros du Fukien ». Désireux de rendre service, ils s’éparpillèrent à travers la Chine créant 28 écoles de la Grue. Peu à peu ces 28 écoles se réduisirent à 6 branches principales :
- La Grue qui se repose (Bai He Tzae Chue Diao)
- La Grue qui chante (Bai He Tzae Diao)
- La Grue qui cherche sa nourriture (Bai He Tzae Tche)
- La Grue qui prend son envol (Bai He Yao Fee)
- La Grue qui saisit (ou la Grue saisie…)
- La Grue qui saute
Le style de la Grue Blanche enseigne surtout le combat rapproché, avec une large prépondérance de techniques de bras ; il s’agit nettement d’un style du Sud. Certaines attitudes évoquent celles de l’animal ayant servit de modèle à ce style.
Une position caractéristique de ce style est « le pas de la jeune fille » : 60% du poids du corps sur la jambe arrière, 40% sur la jambe avant, genoux fléchis, la pointe du pied avant dirigée vers l’intérieur.
La philosophie de combat de ce style est résumée par la phrase suivante : « Si tu avances sans frapper, tu es touché ; si tu frappes sans avancer, tu ne touches pas. Il faut donc avancer et frapper en même temps. » Le style d’origine a donné naissance à plusieurs variantes…
En tant que méthode du Sud l’accent est porté sur les techniques de bras comprenant 18 mouvements principaux engendrant 108 formes. Les armes naturelles les plus utilisées sont la paume, le tranchant, la pique, le poing du phénix (poing avec l’index dépassant), la pince.
Ces techniques issues de l’ancien Shaolin sont en rapport avec les cinq éléments de l’énergétique chinoise : Paume pour la Terre, tranchant pour le Métal, pique pour l’Eau, Poing pour le Feu et pince pour le Bois.L’école ne comporte que trois coups de pied : le pied qui fauche utilisé en balayage, le pied qui écrase visant les genoux, les chevilles et les orteils et le pied en piston visant l’abdomen ou la poitrine. Les Taos (formes) sont au nombre de six. Le premier renferme l’essence des cinq autres et représente l’unité contenant la diversité.
À l’origine seul ce Tao de la grue qui se repose existait, accompagné du travail à deux du Tui Shô (mains collantes) et du San Sho (joindre les mains). Le Tui Sho se base sur l’exécution à deux de 36 mouvements codifiés, le San Sho quant à lui se, base sur la pratique de 108 mouvements. Il eut aussi une certaine influence sur le développement du Karaté d’Okinawa (en effet, 4 styles de karaté : Gojo-Rui, Uechi-Ryu, Ryuei-Ryu et Kojo-ryu font référence au style de la Grue dans leurs ouvrages d’origines !), ainsi qu’en témoignent de nombreux éléments comme le célèbre Bubishi, ouvrage majeur de l’histoire des arts martiaux d’Okinawa… Il est intéressant à noter que dans ce style tous les pratiquants portent un pantalon noir et une chemise blanche.